dimanche 15 janvier 2012


Communiqué du
Comité contre l'impunité et pour la justice en Haïti (CCIPJH)
à l'occasion du premier anniversaire
du retour de Jean-Claude Duvalier

Lettre ouverte
à nos compatriotes épris encore de justice et de liberté.

Le 16 janvier 2012, un an depuis le retour en Haïti du dictateur Jean-Claude Duvalier.
Entre le jour de cette arrivée et aujourd’hui, des Haïtiennes et des Haïtiens ont porté plainte contre lui pour crime contre l’humanité en soulignant l’imprescriptibilité de cette offense contre les êtres humains. Le gouvernement haïtien avait, entre 1986 et 2008, entamé contre lui des poursuites pour crimes économiques. Des documents prouvant le vol des deniers publics et la corruption ont été produits. Un texte comme celui de Leslie Péan, Economie politique de la corruption, l’ensauvagement macoute devrait être versé à ce dossier des crimes économiques. Sans oublier d’autres exactions aux conséquences économiques dramatiques : un seul exemple, celui de la destruction des cochons créoles pour l’économie paysanne.
La justice haïtienne a été saisie du dossier encore plus lourd des crimes contre l’humanité. Un juge d’instruction étudie actuellement les plaintes reçues. Il a auditionné des plaignants. Malgré le secret de l’instruction, nous savons qu’il a déjà posé des actes : il avait assigné à résidence l’ancien président. Cependant, non seulement Duvalier circule librement dans le pays, bambochant dans des restaurants de Pétionville, se promenant en province pour se faire acclamer, mais voila qu’à l’indécence il ajoute l’insulte à la mémoire des victimes du macoutisme. En décembre 2011, il s’est rendu aux Gonaïves pour baptiser une promotion d’avocats.
En ce jour du 12 janvier 2012, il a été formellement invité à St Christophe à la cérémonie officielle de commémoration en mémoire des victimes du tremblement de terre de 2010. Alors qu’à travers le monde les dictateurs sont jugés, que l’ancien Président  Videla passera le reste de sa vie en prison pour crimes contre l’humanité en Argentine où une brochette d’autres généraux attendent d’être jugés pour disparitions forcées, il y a 30 ans ; que l’ancien Président Egyptien Hosni Mubarak est actuellement devant un tribunal du Caire ; que l’ancien Président Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali a été condamné à 35 ans de prison pour détournement de fonds publics et forcé de rembourser $100 million de dollars au trésor public Tunisien, une question se pose aujourd’hui en Haïti : les autorités politiques ont-elles décidé de forcer la main à la justice haïtienne en traitant comme un chef d’état, un inculpé accusé de meurtre, de torture, de détention illégale et de séquestration, avant même que la justice ne détermine ou non sa culpabilité.
Des organisations démocratiques, de défenses des droits humains, de juristes, se sont courageusement fait entendre après certains déplacements de M. Duvalier, entr’autres sa prestation aux Gonaïves. Mais où est l’indignation citoyenne en solidarité avec la famille du jeune Jean Robert Cius assassiné en 1985 et dont la famille s’est portée partie civile dans tout procès contre Duvalier ? Où sont ceux qui, depuis 1986, à chaque occasion, criaient au danger de dictature ? Combien de fois sous les gouvernements militaires, les gouvernements intérimaires, sous les gouvernements Aristide ou Préval, a-t-on vu nos compatriotes mettre en garde contre des mesures rappelant le régime macoute, contre la tentation autoritaire, totalitaire, contre un retour de la dictature ? Ces mêmes citoyens ont-ils dénoncé le retour du symbole même de la dictature et du macoutisme qu’est Jean-Claude Duvalier ?
Des analystes ont expliqué que les jeunes acclamaient Jean-Claude Duvalier parce qu’ils avaient moins de 25 ans et aucun souvenir de la dictature. Il s’agira ultérieurement de s’interroger sur les raisons de cette ignorance de nos jeunes. Qui a failli dans le devoir de mémoire ?
Pour le moment, il est plus urgent de s’interroger sur le silence des citoyens de plus de 50 ans, ceux qui ont vécu la dictature et qui ne peuvent ignorer les assassinats, les disparitions, les exactions, la corruption, la prévarication, tous ces maux que 30 ans de dictature ont tellement inséré dans le tissu social haïtien qu’il est difficile depuis sa chute de l’en débarrasser. Les citoyens haïtiens ont-ils oublié que durant les 30 ans de dictature, en plus de la terreur, la corruption, l’arbitraire, ce qui manquait le plus était la liberté, entre autres la liberté de parole, d’expression ? Durant les 25 dernières années, malgré les aléas, les difficultés de toutes sortes, chacun était libre de parler, de protester, de s’exprimer. Un retour du macoutisme ferait perdre le plus grand gain de l’après-dictature.
Ces mêmes analystes expliquent que durant les 25 dernières années, les citoyens ont connu tant de moments difficiles, tant de violences, qu’ils minimisent les expériences du passé. Mais peuvent-ils les oublier en prenant le risque de voir le retour de la violence d’état ?
De nombreux compatriotes ont exprimé leur désenchantement face à la justice haïtienne. Il est vrai que cette institution est fragile et dysfonctionnelle, dans notre pays. Mais si la société civile décide d’exiger que cette fois la justice doit agir, que les citoyens et citoyennes manifestent leur volonté de ne pas laisser le principal responsable des crimes de la dictature impuni, un pas important vers une société de droit sera franchi.
De plus, les citoyens et citoyennes de notre pays doivent exiger que le Commissaire du gouvernement, qui est le représentant de la société civile, en plus de l’ordonnance attendue du juge d’instruction, s’appuie sur des documents publics qui donnent la parole à ceux qui ne sont plus là pour témoigner, ceux qui n’ont pas survécu aux arrestations, tortures, séjours dans les cachots des prisons de la dictature. Les noms des victimes à travers le pays, isolées dans des cachots des villes de province, ne seront peut-être jamais connus si leurs proches ne les signalent pas. Mais, pour les prisons de la capitale, des témoignages irréfutables nous sont parvenus, relatés par des rescapés : Marc Romulus et Claude Rosier ont publié des livres, des enregistrements de victimes ont été transcrits et enfin le livre de Patrick Lemoine, Fort Dimanche-Fort La Mort, raconte l’expérience de cet homme qui a passé 6 ans en prison. Il parle aussi de ses camarades de cellules : des paysans, des enseignants, des ouvriers, des intellectuels et aussi parfois des macoutes et des soldats ayant déplu au pouvoir. Un grand nombre d’entre eux ont péri à Fort Dimanche. Patrick Lemoine en donne une liste.
Des documents d’organisations de défense des droits humains, haïtiennes et internationales, ont également durant la dictature, dénoncé les crimes et exactions commis a travers le pays.
 Pour ces dizaines de victimes incapables de témoigner et pour les milliers d’autres, le commissaire du gouvernement doit les représenter pour que justice soit rendue, que les coupables répondent de leurs actes.
Car, nos compatriotes épris de justice et de liberté doivent se souvenir qu’en jugeant Jean-Claude Duvalier, on ne jugera pas seulement un responsable de la dictature duvaliériste, mais on mettra la première pierre à un jugement beaucoup plus global, que nous devrons faire pour que les jeunes ne soient plus laissés dans l’ignorance de l’histoire récente de leur pays, un jugement qui n’a pas encore été fait, celui du macoutisme.

Jan J. Dominique, porte-parole
Comité contre l’impunité et pour la justice en Haïti (CCIPJH)
Montréal, le lundi 16 janvier 2012

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Comité contre l’impunité et pour la justice en Haïti (CCIPJH)

Pas de vraie démocratie sans justice !

 Pour communiquer avec le Comité - ccipjhmontreal@gmail.com
 
* Fort-Dimanche, Fort-la-Mort, quatrième édition - http://www.amazon.com/
 


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